Notules dominicales 2010
 
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Notules dominicales de culture domestique n°444 - 2 mai 2010

DIMANCHE.
Lecture. Oblomov (Ivan Gontcharov, 1859; L'Âge d'Homme, 1988 pour la traduction française, rééd. Librairie Générale Française, Le Livre de poche Biblio n° 3315, traduit du russe par Luba Jurgenson; 672 p., 10 €).
Ils ne sont pas nombreux les comportements nommés à partir de personnages de romans : le donquichottisme, le donjuanisme, le bovarysme, je ne vois que ça, en dehors de l'oblomovisme qui nous occupe aujourd'hui. Encore que cette dernière appellation soit dotée d'un statut spécial puis que c'est Gontcharov lui-même qui emploie le mot à propos de son héros Oblomov. L'oblomovisme, c'est un mélange de nonchalance, de paresse, de procrastination, de fatalisme, une sorte d'aquoibonisme en un mot, qui rend l'homme incapable d'entreprendre quoi que ce soit, fût-ce pour son bien. Oblomov vit à Pétersbourg. C'est un barine, un petit propriétaire terrien, qui mène une existence végétative dont rien ni personne ne parviendra à le tirer, ni les exhortations de ses amis, ni la menace de la ruine, ni l'amour. Avec Oblomov, Gontcharov n'est pas loin du "roman sur rien" rêvé par Flaubert : la scène du lever, qui ouvre le livre, s'étend sur deux cents pages, il faut dire que cette opération, pour un tel être, peut prendre une journée entière. Elle est ponctuée par une série de visites d'amis et par les disputes entre Oblomov et son valet, Zakhar, qui donnent une touche comique à cette ouverture. Puis vient l'histoire sentimentale, aboutissant à l'échec que l'on sait, puis la lente descente vers la mort. Ce pourrait être le roman d'un échec - et celui d'une société russe sclérosée, celle qui précède l'abolissement du servage - si Oblomov, outre un homme qui dort, était aussi un homme sans qualités. Mais son aboulie dissimule autre chose : une recherche obstinée du bonheur sans tapage, une fidélité à un rêve d'enfance fait de douceur et de nonchaloir, un refus de marcher avec son temps. Stolz, l'ami d'Oblomov qui est aussi tout son contraire, ne s'y trompera pas dans son hommage funèbre en célébrant "son coeur honnête et fidèle. Ce trésor qu'il a sauvegardé tout au long de sa vie. A chaque coup encaissé il tombait, se refroidissait, s'endormait, enfin, abattu et désenchanté, il a perdu les forces vitales, mais non son honnêteté et sa fidélité. Son coeur n'a pas émis une seule fausse note, il ne s'est pas couvert de boue. Aucun mensonge ne le séduira, rien ne lui fera suivre une fausse voie. Même si tout un océan d'ordures ondoyait autour de lui, même si le monde entier se gorgeait de poison et allait à l'envers, jamais Oblomov ne se prosternerait devant l'idole du mensonge. Son âme demeurera toujours aussi pure, limpide et honnête..."

MARDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Des héros ordinaires d'Eva Joly (Les Arènes, 2009) à l'aller et Mort à l'opéra de Gladys Mitchell (10-18, 2001) au retour.

MERCREDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). "L'opinion, ça se travaille..." : Les médias et les "guerres justes" de Serge Halimi, Dominique Vidal & Henri Maler (Agone, 2006).

Lecture. Sukkwan Island (David Vann, 2008, Gallmeister, coll. Nature Writing, 2010 pour la traduction française, traduit de l'américain par Laura Derajinski; 200 p., 21,70 €).
Ce petit livre raconte une aventure tragique, celle entreprise par un homme qui décide d'aller vivre une année entière dans une cabane isolée sur une île, en Alaska. Le rêve de nature se transforme vite en cauchemar, l'impréparation et l'inadaptation aboutissent à un drame inattendu qui a fait beaucoup pour le succès de ce volume en librairie. Impossible de ne pas songer à une autre histoire d'échec équivalente, celle d'Into the Wild : les protagonistes y sont aussi pitoyables, même si l'on accepte plus facilement les défaillances du personnage romanesque que celle du personnage réel dépeint par Jon Krakauer. La gêne du lecteur ne provient pas ici des faiblesses du héros mais de celles du romancier qui, une fois passé le coup de théâtre sur lequel il a fondé son histoire et son succès, ne sait plus que faire du personnage survivant. On n'est alors qu'à la moitié du livre et ce qu'il en reste ne suscite pas grand intérêt.

Football. SA Epinal - AS Marck 1 - 0.

JEUDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). L'Essor de l'empire espagnol d'Amérique de Salvador de Madariaga (Albin Michel, deuxième édition, 1986).

VENDREDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Journal of Thoracic Oncology (avril 2010). Je ne sais de quoi il retourne exactement mais ça m'a l'air plus sérieux que le rhume des foins.

Courriel. Une demande d'abonnement en provenance de Rimouski (Québec).

Lecture. Quinzinzinzili (Régis Messac, La Fenêtre ouverte, coll. Les Hypermondes, 1935, rééd. L'Arbre vengeur, coll. L'Alambic, 2007; 200 p., 13 €).
En fait, si l'on veut trouver une histoire originale, inattendue, ce n'est pas vers David Vann qu'il faut se tourner mais vers ce bon vieux Régis Messac. Lui aussi raconte une histoire de survivant, mais à une autre échelle : Gérard Dumaurier, son narrateur, est le rescapé d'une fin du monde. Une fin du monde assez bien imaginée puisque, en 1935, Régis Messac en fait la conséquence d'une guerre mondiale au cours de laquelle apparaît une arme de destruction massive, un gaz, "un composé chimique irrespirable, qui possédait de plus la faculté étrange de contracter les muscles zygomatiques, c'est-à-dire de faire rire - ou du moins de donner au visage l'apparence du rire. [...] Avant qu'on ait eu le temps de faire quoi que ce soit, le fléau s'abattait sur l'Europe et l'Afrique. Allemagne, France, Espagne, Angleterre, virent leur air empoisonné par le gaz hilarant. Et partout, dans les vallées ou sur les sommets, dans les rues ou sur les routes, dans les villages et dans les métropoles, dans les champs ombreux ou sur les plages étincelantes, le visage crispé, les mains à la gorge pour tenter d'élargir le passage de l'air - d'un air qui n'existait plus - l'humanité mourut en ricanant." Dumaurier n'est pas le seul survivant : le hasard a voulu qu'au moment de l'explosion il se soit trouvé en randonnée avec un groupe d'enfants, à l'abri d'une grotte où le gaz ne pénètre pas. C'est donc à un adulte et à cette dizaine d'enfants qu'il appartient de reconstruire l'humanité. La logique voudrait que l'adulte prenne en charge le groupe, le fasse profiter de son instruction et de son expérience mais Dumaurier ne veut pas de ce rôle : il se contente d'observer et de consigner, pour un lecteur éventuel, le fruit de ses observations. Les enfants, livrés à eux-mêmes, vont reproduire naturellement, sans aide ni modèle, les structures de l'ancien monde : un langage (dont Quinzinzinzili est le maître mot), une religion, une hiérarchie, bref une société nouvelle au sein de laquelle les tares de l'ancienne ne tarderont pas à réapparaître : jalousies, meurtres, luttes de pouvoir. Dumaurier assiste à cette renaissance avec un oeil dégoûté, refuse de s'impliquer, de servir de modèle. Il est le dépositaire du pessimisme de Messac, un pacifiste engagé que la marche du monde a rendu sans illusion, et à juste titre : il mourra, dix ans plus tard, au cours d'une "marche de la mort", quelque part entre Dora et Bergen-Belsen. Régis Messac aujourd'hui n'est plus un inconnu : son fils Ralph, Michel Lebrun, Léo Malet, Didier Daeninckx et l'inusable Francis Lacassin ont beaucoup fait pour la redécouverte de son oeuvre, aujourd'hui en partie rééditée. Il existe même Société des Amis de Régis Messac qui publie un bulletin intitulé, bien sûr, Quinzinzinzili et une salle de lecture de la Bilipo porte son nom. Hommage mérité : par ses trouvailles, par sa langue inventive et par sa force visionnaire, Quinzinzinzili est un chef-d'oeuvre.

SAMEDI.
J'y vais, j'y vais pas. Finalement, j'y vais. Premier mai, rassemblement à dix heures devant la préfecture pour le défilé. Pas une manifestation, un défilé paisible, assez fourni me semble-t-il. Les manifs, cela fait un moment que je ne m'y suis pas frotté, la dernière fois ce devait être sous Villepin, pour ou plutôt contre le CPE. Je ne me sens pas coupable : j'ai tout de même débuté le 1er mai 1974 à Saint-Dié, j'ai laissé suffisamment de semelle sur le pavé et de trentièmes de salaire dans des journées de grève pour ne pas avoir à rougir lorsque je comparaîtrai devant le saint Pierre des revendications ni à recevoir de leçons de ce côté-là. Et puis, égoïstement, je pourrais dire que pour ce qui est du sujet chaud du moment, la retraite, mon pain est cuit du bon côté, et que j'ai démarré le boulot suffisamment tôt pour ne pas avoir à redouter de partir à l'âge où mes petits-enfants feront leur première communion - contrairement à certains de ceux que je côtoie, promis à blanchir sous le harnais et dont je chercherais en vain les visages parmi les processionnaires de ce matin. Mais je parlais des manifs. Celles de l'an dernier, je les ai vues passer depuis ma fenêtre, comme le défilé de la Saint-Nicolas. Un beau cortège, avec des couleurs, de la musique, des ballons et des farandoles. Un spectacle de rue. Et c'est ça qui me gêne : les manifs m'ont paru spectaculaires, jolies, festives. Or, il me semble, mais c'est peut-être un effet déformant de l'âge, que les manifestations d'antan n'étaient pas là pour faire joli : elles étaient là pour faire peur. Il n'y avait qu'à voir les mineurs de Lorraine comme j'ai pu les voir à Nancy, à Metz ou à Strasbourg, je ne sais plus, avec leurs casques et leurs torches, ou les gueules des mecs de Montefibre à Epinal en 1977 ou 78 pour se rendre compte que ces gens-là n'étaient pas du genre à défiler avec une baudruche à la main en soufflant dans un mirliton. On me dira que leurs combats n'ont pas été franchement couronnés de succès. N'empêche. Quand ils passaient devant la préfecture, on voyait les rideaux trembler.


Epinal, photo de l'auteur, 4 avril 2006

IPAD. 13 juillet 2008. 75 km (8075 km).


170 habitants

Un beau poilu rouge dû à E. Camus, statuaire à Toulouse, surmonte le monument, sis près de l’église.

VIRY Joseph

BALLAND Henri

VOIRIN Albert

DORIDANT Henri

MARCHAL Emilien

VIRY Emile

MANGIN Eugène

LEJAL Georges

GEORGES Auguste

LECOMTE Joseph

DEFRANOUX Félix

VOIRIN Séraphin

VILLEMIN Louis

VIRY Albert

LEMARQUIS Henri

BADONNEL Albert

VILLEMIN Séraphin

DIDIER Henri

A nos morts pour la France

1914 – 1918


Ajouts :

A.F.N.

REMY Marcel 1962

1939-1945

Militaires

CUNIN Gaston

LEMARQUIS Marcel

Victimes civiles

DELON Félicien

PIERRAT Albert

PIERRAT André

PIERRAT René

TOUSSAINT Adeline

Déporté


PENTECÔTE Félicien

L'Invent'Hair perd ses poils.


Charlieu (Loire), photo d'Hervé Bertin, 26 décembre 2006

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°445 - 9 mai 2010

MERCREDI.
Lecture. L'impossible Monsieur Grant (To Catch a Spy, Stuart Kaminsky, 2002, Payot & Rivages, coll. Rivages/Noir n° 744, 2010 pour la traduction française, traduit de l'américain par Emmanuel Pailler; 288 p., 8,50 €).
Alfred Hitchcock, les Marx Brothers, Errol Flynn, Fred Astaire, Gary Cooper, Judy Garland, Mae West... Ce n'est pas le générique d'un impossible film américain mais la liste - incomplète - des clients successifs du détective privé Toby Peters, qui officie dans le Hollywood des années 40. Une série inaugurée en 1977 et dont on découvre sans doute ici un des derniers numéros, avec Cary Grant en invité d'honneur, puisque Kaminsky est mort en octobre dernier. Les aventures de Toby Peters valent surtout par le travail de reconstitution historique effectué par l'auteur qui donne un aperçu de la vie américaine au temps de "l'effort de guerre" : spectacles, publicités, émissions de radio et informations de l'époque parsèment des enquêtes qui, par ailleurs, ne sont pas franchement emballantes. Peu importe : en dehors de ses prestigieux comparses, le personnage de Toby Peters vaut à lui seul le détour par la façon dont il annonce son confrère Lew Fonesca, héros des derniers romans de Kaminsky (Biscotti à Sarasota, Soleil post-mortem et Passage de minuit - il en reste deux à traduire) qui constituent le somment de son oeuvre.

Football. SA Epinal - Entente Sannois-Saint-Gratien 3 - 1. La partie est arbitrée par M. Sébastien Crampon. Ce n'est pas tous les jours que l'on peut voir un aptonyme en pleine activité.

VENDREDI.
Lecture. Les Cahiers de l'Institut n° 3 (Institut International de Recherches et d'Explorations sur les Fous Littéraires, 2009; 132 p., sur abonnement).
Le marquis de Camarasa est la figure de proue de ce numéro dont une bonne partie est consacrée à son ouvrage mythique, Les Causeries brouettiques. Tous les amateurs de folie littéraire connaissent les Causeries brouettiques mais souvent, et c'est mon cas, uniquement de réputation et par ce qu'en dit André Blavier dans ses Fous littéraires. Francis Mizio apporte enfin quelques lumières sur l'homme et l'oeuvre, sans qu'on sache encore exactement ce qui a bien pu pousser un noble espagnol à écrire, au début du XXe siècle, un ouvrage de 540 pages entièrement dédié à la brouette. Je ne sais si l'ouvrage en lui-même est consultable quelque part (il en existerait une quarantaine d'exemplaires) ni s'il sera un jour réédité, ce qui rend particulièrement précieuses les quelques pages qui en sont reproduites. Au sommaire par ailleurs la première partie d'une enquête sur Hersilie Rouy, la découverte du Patoiglob, novlangue due à Benjamin Bohin (1822-1911), les élucubrations politiques de Maurice de Boeck, hétéroclite bruxellois, sans oublier une étude du "plancher de Jeannot", une oeuvre gravée par un séquestré volontaire, aussi dérangeante que celles d'Aimable Jayet dont on a déjà parlé ici.

SAMEDI.
Football. SA Epinal - Vesoul Haute-Saône Football 3 - 1.

IPAD. 14 juillet 2008. 64 km (8139 km).


579 habitants

Le monument est dans le cimetière. Sur la stèle, deux drapeaux entrecroisés de part et d’autre d’une croix de Lorraine et un casque en bronze portant l’inscription « Les démobilisés de Champ-le-Duc à leurs camarades ».

Face :

Hommage à ceux

Dont le sacrifice

Nous a donné

La victoire


Gauche :

FIMENIL

DIDIER Henri

SERGENT Paul

GROS Emile

GEORGEL Flavien

GEORGEL Louis

MARTIN Marcel

STOUVENIN Auguste

GUILLEMAUD Auguste

RIVAT Eugène

DUHAUT Georges

LAMBOLEZ Marcel

PREY

WOLFF Charles

KIENTZEL Albert

CUNIN Louis

DURUPT Alphonse

Droite :

CHAMP-LE-DUC

BOULAY Joseph

JACQUOT Albert

DELAITRE Emmanuel

TISSERANT Henri

LEDUC Emile

LECOMTE Albert

MELINE Pierre

RICHARD Edmont (sic)

AIGLE Louis

MANGEOLLE Pierre

TOUSSAINT Fernand

BEAUMENIL

MANGIN Albert

DIVOUX Etienne

GENAY André

GENAY Georges

DIDIER Etienne

Dos : rien. Mais il devrait y avoir quelque chose. La plaque de marbre a été enlevée. Il manque donc des noms, d’autres villages, puisque c’est un monument intercommunal, ou plutôt, je pense, de Champ-le-Duc, les onze victimes recensées sur le côté droit me semblant insuffisantes, si j’ose dire, pour un village de 500 habitants.

A mon retour, j’ai essayé d’en savoir plus sur la plaque manquante. J’ai eu du mal à joindre la mairie de Champ-le-Duc, à cause des vacances. Quand j’ai réussi à l’avoir, on m’a renvoyé vers celle de Beauménil. Là aussi j’ai eu de mal, et ce n’est que le 25 août que j’ai pu parler à M. Gremillet, maire de la commune et chargé du cimetière. Il m’a dit que la plaque manquante n’existait pas, qu’on avait prévu un emplacement mais qu’on n’avait pas eu besoin de l’utiliser. L’état-civil du monument est donc complet, contrairement à ce que je pensais.

L'Invent'Hair perd ses poils.


Lyon (Rhône), photo de Patrick Flandrin, 29 décembre 2006

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°446- 16 mai 2010

LUNDI.
Nouvelles électroniques. L'Association Georges Perec est désormais dotée d'un site Internet. Lequel est encore en construction mais déjà consultable : http://associationgeorgesperec.fr/
Par ailleurs, le numéro 4 de Chos'e, revue d'art et de poésie, est en ligne : 194 pages, 46 auteurs dont un notulographe : http://fr.calameo.com/read/000036710a4d190566a14

Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Le Choeur des femmes de Martin Winckler (P.O.L., 2009) et Le Soleil des morts de Bernard Clavel (Pocket, 1999).

MARDI.
Presse. Extrait de la chronique de Pierre Foglia dans La Presse de Montréal du jour :

Seconde petite nouvelle. LaShawn Merritt ? Cela ne vous dit rien, c'est normal. C'est un coureur de 400. Champion olympique à Pékin, champion du monde l'an dernier à Berlin. Vient de se faire prendre lors de trois contrôles inopinés, positif à la DHEA (un stéroïde anabolisant). Pour sa défense, Merritt explique : je prends des médicaments pour augmenter la taille de mon pénis.

Juste une parenthèse pour dire que j'étais dans la zone mixte, à Pékin, pour accrocher le Canadien Tyler Christopher après les séries du 400, Merritt est passé en coup de vent, mais j'ai eu le temps de voir son pénis moulé dans son cuissard et, franchement, je ne comprends pas qu'il veuille en augmenter la taille à moins qu'il projette prochainement de copuler avec une hippopotame. Mais bon, c'est pas de mes affaires.

Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Mon amour ma vie de Claudie Gallay (Actes Sud, 2010).

MERCREDI.
Lecture. Une lecture (Roland Cailleux, Gallimard, 1948, rééd. Privat/Le Rocher, coll. Motifs n° 294, 2007; 480 p., 10 €).
Un demi-siècle avant Alain de Botton, Roland Cailleux voulait montrer comment Proust pouvait changer votre vie. Les armes n'étaient pas les mêmes : là où l'écrivain suisse allait choisir la forme de l'essai, brillant au demeurant, Cailleux optait lui pour le roman. Bruno Quentin, marchand de verrerie de la rue de Paradis, se voit contraint à l'inactivité pour raisons médicales. Au cours d'un séjour dans le Midi, il entreprend la lecture de La Recherche et voit sa vie sous un angle tout à fait différent. Cailleux divise son roman en trois parties. Dans la première, on découvre son héros menant sa "vie d'avant" : un homme jeune, brillant, un peu fat et superficiel qui n'est pas sans évoquer le Proust d'avant lui aussi, celui des plaisirs mondains. La deuxième partie est une lecture commentée de La Recherche, assortie des horizons qu'elle laisse entrevoir pour l'avenir. Dans la dernière partie, Bruno Quentin, guéri, commence sa nouvelle vie. Tout cela n'est guère convaincant : ça commence par un roman au style très nénéref de l'époque, comme dirait Céline, une pâle évocation des Thibault de Martin du Gard. Dès que son héros entame sa lecture miraculeuse, le style de Cailleux change : la phrase s'enfle automatiquement dans une imitation ratée du maître. Une fois le livre refermé, Bruno Quentin devient une sorte de Marcel bis, analysant le monde à travers les yeux du Narrateur, se découvrant, là aussi de façon fort mécanique, une nouvelle philosophie sentimentale et politique. En bref, Cailleux proustifie. Ce n'est pas sa propre lecture qui est en cause - les analyses du texte proustien sont fouillées, l'influence que celui-ci peut avoir sur le lecteur n'est plus à démontrer - mais les outils qu'il utilise, ceux du roman traditionnel qu'il ne parvient pas - il n'essaie pas d'ailleurs, apparemment à l'aise dans ce costume étriqué - à dépoussiérer.
Curiosité. Page 45, un ami de Bruno Quentin fait lecture à ce dernier d'un de ses poèmes - dans le style de Cailleux, il "régale Bruno de ses dernières productions" :

"Sur la route en lacets du col Belivantour,
Jean Benitolarvu conduit sa blanvoiture,
Le phare étincelant de bel albunovitre.
Soudain sur son volant il se tarnibovule.
Les roues n'avaient pas l'air de se vantiboler,
L'huile était pourtant bien de la Novubratile,
Lui aurait-on livré du Turnebavoïl ?
Si la boîte aux outils est sans tanovibleur,
Faudra-t-il revenir par le vélobutrain ?
Mais non ! L'idée de Jean est une ultravibone :
Il retourne chercher sa Bouillie Bultravoine
Et les deux petits grains de l'Urinet Bavol,
Car au Belivantour, c'est peut-être Introuvable."

Roland Cailleux, oulipien par anticipation ? Dans ce cas, il faut considérer la disparition du u au vers 5 comme un clinamen et non comme une coquille.

JEUDI.
Vie littéraire. Jour férié, consacré à la rédaction du Bulletin de l'Association Georges Perec.

VENDREDI.
Vie d'un collectionneur. C'est en faisant route vers le monument aux morts de Domèvre-sur-Durbion que je tombe sur ce calicot, qui vient fort opportunément agrandir, et peut-être clore, une de mes collections préférées.

SAMEDI.
IPAD. 20 juillet 2008. 14 km (8153 km).


3119 habitants

Le monument est une sobre stèle située dans le cimetière, le parterre est abondamment fleuri et ceinturé d’obus reliés par une chaîne.

Face :

Chantraine

A ses enfants

Morts pour la France

1914-1918

Gauche : 45 noms d’AUBERTIN A. à LARRIERE L. Parmi ceux-ci, un CHRIST J. dont on se demande quel pouvait bien être le prénom.

Droite : 44 noms de LECLERE L. à WITZCALL L.

En avant de la stèle, une plaque :

A la mémoire des habitants de Chantraine

Victimes de la Guerre 1939-1945

47 noms sur trois colonnes, d’ANCEL Paul à ULRICH André.


L'Invent'Hair perd ses poils.


Buis-les-Baronnies (Drôme), photo d'Hervé Bertin, 7 janvier 2007

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°447 - 23 mai 2010

DIMANCHE.
Mise à jour. Mes dernières chroniques parues dans Vosges Matin (Jean-Jacques Busino) et Histoires littéraires (Boris Vian, Romain Gary, Antoine Blondin, actualité littéraire) sont désormais en ligne : http://pdidion.free.fr/chroniques/chroniques_2009.htm

LUNDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Que serais-je sans toi ? de Guillaume Musso (Pocket, 2010).

MERCREDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Scarpetta de Patricia Cornwell (Le Livre de poche, 2010).

Lecture. Quai des enfers (Ingrid Astier, Gallimard, coll. Série Noire, 2010; 416 p., 17,50 €).
Une nouvelle venue dans la Série Noire, manifestement grande lectrice de Fred Vargas (mais aussi de René Fallet qui est cité, ce qui est moins commun), une série de meurtres qui ont la Seine pour décor, une enquête menée par un grand patron de la Crime du quai des Orfèvres, voilà les ingrédients de ce polar dont on pourrait aisément dégommer les travers. Une dimension hyperesthétique qui donne aux dialogues un air affecté, l'abus des italiques pour souligner des sentences pseudo-poétiques ou prétendument frappantes, des personnages maniérés, une galerie de phraseurs et de poseurs imbuvables, tout cela n'est a priori pas très attirant. Heureusement, Ingrid Astier a d'autres atouts. Un beau travail de documentation sur l'histoire de Paris et sur les coulisses de la police (les arcanes du 36, la morgue du quai de la Rapée, le travail de la Brigade fluviale) viennent donner un peu de réalité au cadre dans lequel elle fait évoluer ses personnages improbables et une révélation finale assez inattendue réussissent à sauver la mise de ce livre bancal. Volontairement bancal, sans doute, mais dont les deux aspects, l'aspect réaliste et l'aspect poétique, ne parviennent jamais à s'emboîter de façon convaincante.

JEUDI.
Lecture. Les Pieds dans l'eau (René Fallet, Mercure de France, 1974 pour la première édition, rééd. Le Cherche Midi, 2010; 112 p., 12 €).
Chronique proposée à Vosges Matin.

VENDREDI.
Vie linguistique. Dans le film La Loi et l'Ordre (Righteous Kill, Jon Avnet, E.-U., 2008) vu ce soir, on entend Al Pacino répondre sèchement, en détachant bien les syllabes, à une question qui lui est posée : "Absofuckinglutely". C'est une construction que j'appellerais volontiers le juron farci, qui consiste à insérer un gros mot (fucking) à l'intérieur d'un mot anodin (absolutely). Une pratique que j'imagine impossible en français mais que l'anglais semble autoriser. Je n'en connais qu'un autre exemple qui me fut rapporté il y a bien longtemps par AN, témoin auriculaire de l'emportement d'un Irlandais gastronome pestant contre le "cubloodycumber" qu'il découvrait dans son sandwich. Je ne désespère pas d'en trouver d'autres occurrences : je collectionnerais bien les jurons farcis.

SAMEDI.
Football. SA Epinal - AS Nancy-Lorraine B 1 - 0.

IPAD. 15 août 2008. 50 km (8203 km).


677 habitants

Le monument se dresse entre l’église et la mairie, à l’écart de la route départementale. L’encadrement a l’air neuf. Il semble d’ailleurs qu’on ait affaire à un mélange de deux monuments dont le plus ancien comportait, sur un socle de marbre, la statue du Poilu, drapeau sur le cœur, poing serré, yeux clos.

Face :

Aux enfants

De La Chapelle-aux-Bois

Morts pour la France
1914-1918

Une petite plaque sur la base, à droite, « Souvenir français ».

Gauche :

première colonne, 15 noms d’ANTOINE Em. à BEAUDOIN M.

deuxième colonne, 14 noms de BRUTON R. à COLNOT P.

troisième colonne, 16 noms de COLNOT H. à GRANDCLAUDON J.

Droite :

première colonne, 15 noms de HENRY J. à MATHIEU L.

deuxième colonne, 14 noms de MOUGEOT E. à PIERRE A.

troisième colonne, 14 noms de PIERRON R. à VIVIN E.

Dos :

1939-1945

LALLOUE Pierre 1940

DEPORTES

5 noms de BRENIERE Marcel à MURY Charles

Un macaron tricolore du Souvenir français

Par acquit de conscience touristique, je pousse la porte de l’église. Sur le mur du fond, surprise, deux plaques de bois portant la mention « A nos glorieux morts pour la patrie » m’attendaient.

Au monument républicain correspond donc un monument religieux qui apporte plus de détails : les grades des victimes, qui sont rangées par ordre décroissant, des sergents aux soldats, et les lieux où ils sont tombés (N.D. de Lorette, Vaux, Grand Ham, « Aux Armées »,…). La première place est occupée par MR. l’abbé DUSAPIN, aumônier, tombé à Monacu (Somme). Je compte 30 noms sur le panneau gauche, 30 noms sur le panneau droit. Question : pourquoi 88 noms sur un monument et 60 seulement sur l’autre ?

L'Invent'Hair perd ses poils.


Epinal (Vosges), photo de l'auteur, 10 janvier 2007

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°446 - 30 mai 2010

DIMANCHE.
Vie familiale. Nous participons au regroupement familial qui se déroule traditionnellement en ce week-end de Pentecôte. J'ajoute donc un élément à ma liste de lieux où j'ai dormi, la chambre 141 du VVF d'Obernai, en Alsace. VVF, Village Vacances Famille. J'aime les villages, je passe mes dimanches à les sillonner en quête de monuments aux morts, j'aime les vacances, j'ai parfois l'impression de ne vivre que pour ça, j'aime ma famille et même certaines familles qui ne sont pas la mienne. Mais j'avoue que je serais bien malheureux si je devais passer des vacances dans un tel endroit. A part ça, Obernai n'est pas très riche en salons de coiffure dignes de l'Invent'Hair et je dois me rabattre sur les ersatz.

LUNDI.
Lecture/Ecriture. Mots croisés 6 (Michel Laclos, Zulma, coll. Grain d'orage, 2002; 112 p., 7,50 €).

Lecture. Le Rocambole, revue des Amis du Roman populaire n° 50. Les naissances du roman populaire (Encrage, printemps 2010; 176 p., 15 €).
Compte rendu à rédiger pour Histoires littéraires.

MARDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Le Symbole perdu de Dan Brown (Lattès, 2009).

MERCREDI.
Vie linguistique (suite). La science du juron farci est en marche. La notulie, toujours pleine de ressources, semble intéressée par le phénomène. Ce furent d'abord des témoignages oraux, un "coldfuckinturkey" appartenant au vocabulaire d'un serveur de chez Leo's sur Division Street, Chicago, qui le disait en un seul mot, et un Irlandais prénommé Seamus qui clamait "Down with Amefuckingcuntbastardrica" à qui voulait l'entendre. Ces exemples, plutôt iconoclastes, sont plus du domaine de l'inventivité langagière des locuteurs en question que de la norme régissant les jurons farcis. Car il existerait une norme. Une notulienne qui étudie à l'Ecole Normale Supérieure de la rue d'Ulm évoque un cours de linguistique donné en ce saint lieu : "Le professeur nous avait notamment parlé d'abso-fuckin'-lutely et de fan-fuckin'-tastic pour illustrer le fait qu'il existait probablement une grammaire universelle : en effet d'après lui, qui visiblement avait beaucoup étudié cela aux Etats-Unis, il ne serait venu à l'idée d'aucun locuteur natif de dire absolu-fuckin'-tely ou fantas-fuckin'-stic, même si aucun d'eux ne savait dire pourquoi. Il s'employait donc à résoudre, entre autres problèmes, la brûlante question de savoir quelle loi linguistique déterminait cet état de fait." Mieux encore, appris ce matin grâce aux recherches de BH, notulien de proximité et redneck corrézien : le juron farci est connu et reconnu, il a un nom : c'est un tmesis (tmeses au pluriel) en anglais. Des exemples (imbloodypossible, asfreakingtounding, vietfuckin'nam, hooblastedray, etc.) en sont répertoriés et doivent figurer sur Internet. John O'Grady, écrivain australien, en fit même un poème sur la ville de Tumbarumba qui se termine par ces vers : "But as for me, I'm here to say the interesting piece of news / Was Tumba-bloddy-Rumba shootin' kanga-bloody-roos." En fait, on l'aura compris, le juron farci est une forme de tmèse, une figure de rhétorique connue de nos dictionnaires spécialisés qui "consiste en la séparation, par une suite intercalée, des deux éléments d'un mot composé ou d'une locution", définition donnée par Georges Molinié qui offre cet exemple : "Et ils mangèrent donc les pommes, bien vieilles, de terre". A mon avis, on pourrait également qualifier de tmésique, pourquoi se priver de l'adjectif, la construction de bon nombre de chansons populaires ou folkloriques dans lesquelles une phrase, souvent fantaisiste, vient couper régulièrement le récit conduit par les paroles, comme le "mironton mironton mirontaine" de Malbrough s'en va-t-en guerre ou le "et ron et ron petit patapon" d'Il pleut bergère. Le chapitre pourrait être clos. Il serait pourtant intéressant de connaître ce qui se passe dans les autres langues, notamment en allemand, qu'on sait friand de concaténations et d'amplifications lexicales. La notulie compte en son sein de fameux germanistes. On attend leurs lumières, qui seront weldiddlyelcome, avant de leur adresser nos congrafuckin'lations.

JEUDI.
Vie littéraire. Je fais un saut aux Imaginales, "le festival des mondes imaginaires", qui en est à sa neuvième édition. Une manifestation désormais bien installée, qui bénéficie d'une belle réputation mais que je visite pour la première fois. Il faut dire qu'elle met en valeur des genres littéraires, science-fiction, fantasy, bande dessinée, qui m'échappent totalement, mais on ne peut pas tout faire. En tout cas, ça marche fort et c'est tant mieux, pour un jour de semaine les allées sont déjà bien garnies, les tables rondes tournent rond et une pléthore d'auteurs sont attendus. Je profite de la présence d'un libraire de Fontenoy-la-Joûte pour prendre des nouvelles de son confrère président de l'Institut International de Recherches et d'Explorations sur les Fous Littéraires. J'ai appris voici peu que la revue qu'il animait, Les Cahiers de l'Institut, suspendait sa parution après les quatre numéros parus. J'espérais en connaître la véritable raison mais j'en serai pour mes frais. L'homme est, paraît-il, très secret...

SAMEDI.
IPAD. 17 août 2008. 71 km (8274 km).


633 habitants

Le village est construit sur un mamelon, le monument est au sommet, sur une place qui dessert la mairie-école et la salle des fêtes. C’est une petite stèle en granit, dressée sur trois marches.

Face :

Aux enfants de La Chapelle-devant-Bruyères

Morts pour la France

1914-1918


Gauche :

Adjudant-chef

MERVELET Alfred

Sergent fourrier

GALMICHE Maurice

Caporal

GUERY Alphonse

Soldats

BARADEL Auguste

BARADEL Henri

BROCARD Emile

CHRISTAL Léon

COLIN Aymond

COLIN Lucien


Droite :

Soldats

COLLE Léon

CUNY Eugène

DANIEL Paul

DANTANT Emile

DENY Germain

DEMANGEON Léon

GEORGES Albert

GEORGES Lucien

GROSDIDIER Henri

LALEVEE Henri

MARTIN Henri

MOLLAD Paul

PARADIS Raymond

ROUSSEL Adrien

Je pousse là aussi jusqu’à l’église, et là aussi, stupeur : une plaque sur le mur latéral gauche, dans un cadre peint qui porte l’inscription « A ceux dont le sacrifice nous a donné la victoire ».


A nos héros morts pour la France
1914-1915-1916-1917-1918
Hommage paroissial

Les 23 noms qui suivent concordent cette fois avec le monument extérieur. Plusieurs signatures figurent : Minoux et Mangin 1920 (pour le cadre), Ch. Desvergnes (pour le bas-relief) et M. Marrou éditeur Orléans (pour la plaque).

Un vertige me prend : et si tous les monuments civils que j’ai étudiés depuis le début de ce chantier étaient doublés d’un hommage paroissial que je ne me suis pas soucié de rechercher ? J’ai bien trouvé quelques monuments dans des églises mais là aussi je m’en suis contenté, je n’ai pas cherché de monument civil à partir du moment où j’en avais trouvé un à caractère religieux. Si ça se trouve, je n’ai fait que la moitié du travail… Je me rassure : non, toutes les communes n’ont pas deux monuments, ce n’est pas possible, mais il est certain que j’ai raté quelques doublons comme ceux que je viens de rencontrer à La Chapelle-aux-Bois et ici. La Chapelle, dans les deux noms d’ailleurs. De toute façon, il est trop tard pour faire demi-tour.

L'Invent'Hair perd ses poils.


Lyon (Rhône), photo de Marc-Gabriel Malfant, 22 janvier 2007

Bon dimanche.