DOUBLE
COMBAT
Chronique
publiée dans Vosges Matin le 22 avril 2010
Un malheur
n'arrive jamais seul. Au moins pour le narrateur de ce roman, condamné
à plus ou moins brève échéance par une maladie
du système sanguin : lorsque son fils, renversé par une
voiture, se retrouve plongé dans le coma, le voilà amené
à lutter sur un second front, obligé d'oublier sa propre
douleur pour accompagner celle d'un autre.
Avec le récit de ce double combat, Jean-Jacques Busino quitte les
collections policières de Rivages pour un roman plus personnel
dans lequel la vie de famille se délite sans espoir de retour.
Médecins, assureurs et avocats entrent en scène mais c'est
la maladie qui tient le premier et le plus mauvais rôle. Le récit
est prenant, parfois poignant même si l'auteur n'évite pas
quelques facilités : évocation de souvenirs d'enfance étirés
à l'envi, humour noir de faible envergure (" morphine est
le contraire de mort large ", " lorsqu'un médecin parle
d'une tumeur, le patient entend tu meurs ", etc.), dialogues artificiels
qui donnent le sentiment que le livre n'est pas tout à fait au
niveau de ses ambitions.
Cancer du
Capricorne (Jean-Jacques Busino, Rivages, 184 p., 18 €)
PIERRE
LE FATALISTE
Chronique
publiée dans Vosges Matin le 25 mars 2010
Lorsqu'il
entreprend la rédaction de ce livre, Pierre Bost a déjà
une belle carrière de romancier derrière lui et il n'est
pas encore devenu le brillant scénariste-dialoguiste qui, en duo
avec Jean Aurenche, participera à la renommée du cinéma
" qualité française " d'après-guerre avec
des films comme Douce, Jeux interdits ou La Traversée de Paris.
Entre-temps, en 1940, Pierre Bost a été mobilisé
et fait rapidement prisonnier. Un an dans un tiroir, publié pour
la première fois en 1945, relate son expérience du Stalag,
un an dans un camp de prisonniers de Prusse-Orientale, qui ne ressemble
à aucun autre témoignage de cette époque.
C'est un homme mûr qui parle, un écrivain chevronné,
un privilégié - il évite les kommandos de travail
- qui ne se voit que peu de points communs avec ses camarades d'infortune.
Volontairement solitaire, isolé, il se livre à l'introspection.
Evitant soigneusement l'anecdote et le pittoresque, il analyse froidement
sa situation. Il imagine la suspicion dont seront victimes ceux qui reviendront
(" Comment ! Et vous n'en êtes pas mort ? Et vous ne vous êtes
pas révolté ? Et vous ne vous êtes pas sauvé
? "), refuse tout espoir, tout sentiment d'appartenance, dénie
toute vertu à l'expérience collective et ne voit aucun enseignement
à tirer d'une telle épreuve : " nous ne rapporterons
rien, en sortant d'ici, pas même un droit. " Un constat dur,
fataliste, qui fait peu de cas des valeurs humaines.
On comprend mieux, à cette lecture, la proximité de Pierre
Bost avec un auteur comme Marcel Aymé ou un cinéaste comme
Claude Autant-Lara dont il partage la vision sans concession de l'humanité.
Sans être obligé d'adhérer à celle-ci, on appréciera
qu'une fois de plus Le Dilettante fasse un excellent travail de réédition
en rendant ce texte étonnant à nouveau disponible.
Un an
dans un tiroir (Pierre Bost, Le Dilettante, 126 p., 14 €)
MICHEL
ARRIVÉ, ARCHITECTE ROMANCIER
Chronique
publiée dans Vosges Matin le 25 février 2010
Chacun de
ces derniers siècles a connu son grand roman d'immeuble : le XVIIIe
avec Le Diable boiteux de Lesage, le XIXe avec Pot-Bouille
de Zola et le dernier avec La Vie mode d'emploi de Georges Perec.
C'est au tour de Michel Arrivé, connu pour ses travaux de linguiste
et ses études sur Alfred Jarry, de se lancer dans le genre avec
au départ un homme, Joël Escrivant, qui entreprend la description
d'un immeuble étage par étage, appartement par appartement,
et imagine la vie de ses occupants. Cette enveloppe contient un tas d'histoires
qui se succèdent et finissent par s'imbriquer, renfermant elles-mêmes
une autobiographie entreprise par un des locataires. Au milieu de ces
récits, un narrateur anonyme nous montre Joël Escrivant au
travail, nous fait part de sa démarche, de ses hésitations,
de ses difficultés, de sa progression. Un bel immeuble est le roman
d'un roman qui se construit - et se défait - sous les yeux du lecteur,
transformé tantôt en chef de chantier tantôt en visiteur
d'appartements.
Peu à peu, une sorte de tourbillon se forme : où est la
farce, où est le farci, qui est dans quoi, le manège accélère,
ralentit, on manque s'y perdre et on s'y retrouve toujours, ravi de repartir
pour un nouveau tour. La construction ingénieuse, l'effet de poupées
gigognes, sans oublier la vision de l'écrivain au travail, rappellent
clairement La Vie mode d'emploi mais ce qui est plus important, c'est
que Michel Arrivé a hérité de Perec le goût
des histoires "à lire à plat-ventre sur son lit",
cet art de simplement raconter. Il y a dans Un bel immeuble un foisonnement
de récits, de personnages, de parcours qui se côtoient ou
se croisent et que l'on suit avec un intérêt grandissant
: les déboires conjugaux du docteur Ménétrier, les
parties de bridge-plafond avec le docteur Lefébure et sa sinistre
épouse, les toilettes mortuaires de ce demeuré de Bornichet
et les cancans de Madame Pinaudier, l'exil d'Anatole Gandillot, et les
époux Tournesac, et le sulfureux abbé Bérardier,
et Roger Arrivé qui était si bon élève...
Michel Arrivé, architecte romancier, nous invite à le suivre
pour une visite guidée des plus stimulantes : on peut lui emboiter
le pas sans hésiter.
Un bel
immeuble (Michel Arrivé, éditions Champ Vallon, 224
p., 17 €)
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